Archives Mensuelles: décembre 2018

LA FORCE DU PARDON (conte)

Il était une fois, dans un royaume lointain, une petite reine belle comme une montagne enneigée nimbée des rayons du soleil levant, mais aussi imprévisible que l’éboulement d’une falaise érodée et rongée par le gel. Un rien pouvait contrarier cette souveraine autocrate et provoquer sa colère. Quelques sujets miséreux se plaignaient-ils de leur condition qu’elle en faisait fi ! Tel troubadour, adepte de la satire, répandait-il ses versets par les chemins, qu’elle imaginait les plus fins stratagèmes pour nuire à sa réputation ! Tout contradicteur était vilipendé vertement ! Aucune réponse ne venait en écho aux questions qu’on lui posait. Invectives et rodomontades constituaient la règle d’un règne sans partage.

Pour asseoir son pouvoir, la reine avait constitué sa cour de matrones, choisies parmi les boutiquières de la ville pour leur capacité à gérer un commerce. Elles devaient veiller à ce que le trésor royal ne souffre pas trop des frasques de leur dirigeante !

Des notables, désignés pour avoir porté allégeance au pouvoir, étaient occasionnellement conviés à participer à des assemblées, plus ou moins utiles, au déroulement opaque, destinées essentiellement à conforter aux yeux du peuple les décisions royales. Ils veillaient surtout à ne pas être exclu du clan dominant ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires !

Tout ce beau monde tenait le peuple sous le joug d’une discrimination : Les pour, les contre ! Les amis, les ennemis ! Il convenait de ne jamais contredire la reine, pas plus que les membres de la cour, sous peine de bannissement. Plusieurs matrones furent même, dit-on, exclues du clan pour avoir osé contester une décision ou dénoncer une vilaine attitude ! Diviser permettant de régner, le royaume marchait droit et le peuple filait doux !

Mais attention ! La force de l’autorité ne souffre aucune faiblesse et la moindre faille peut occasionner l’écroulement des plus fastueux édifices. Un jour de décembre, la gangue de cet auguste pouvoir se fissura.

A l’approche des fêtes du solstice d’hiver, un missionnaire se présenta à la porte cochère du château. Il était de ces hommes d’église, mi-ermite, mi-errant, portant de maison en maison, de village en village et de ville en ville, une parole de paix et de fraternité longuement méditée dans l’isolement d’un lieu saint. Il livrait à chacun son message, en échange du gîte (un coin de grange garni de foin) ou du couvert (la part du maigre brouet destinée, sur chaque table, au pauvre de passage). La coutume voulait, à chaque visite impromptue de ces pieux routiers, qu’une audience auprès de la reine leur fût accordée, dans la salle du trône, en présence de la cour. C’était une sorte de cérémonie ou chacun se soumettait au discours du prêcheur, comme pour une forme d’expiation. C’est souvent ainsi que tout croyant se déleste du poids de ses turpitudes !

Cette année-là, le saint homme, misérablement vêtu d’une aube mitée et maculée de boue, chaussé de sandales au cuir râpé, de longs cheveux grisâtres aux reflets pisseux tombant sur ses maigres épaules dit : « La force du pardon soulage des tourments de la vengeance inaccomplie ».

L’assemblée retint son souffle aménageant un long silence. La reine, perplexe, une moue dubitative sur son visage chafouin révélant un doute, se gratta la tête de ses doigts ornés de nombreuses bagues, ce qui eut comme double effet de déplacer légèrement sa couronne sur le côté de son opulente chevelure dorée et de générer un léger cliquetis d’entrechoquement. Elle dit alors, la couronne de travers :

« Ouais ! Et dans notre langage à nous ça veut dire quoi ? »

Impassible, appuyé sur la houlette au bout usé par les cailloux des chemins qui lui faisait office de canne, le missionnaire répondit à la reine :

« Cela veut dire, majesté, que le pardon qu’on implore ou qu’on accorde, est facteur de sérénité et de paix sur terre ».

La reine, sa couronne de travers, interrogea du regard sa cour et n’y trouva aucun secours. Tous, comme à l’accoutumée, regardaient piteusement la pointe de leurs chausses. La moutarde commençant à lui monter au nez, la reine dit alors :

« Ouais ! Et moi si je préfère que la populace festoie, se saoule et se querelle ? J’ai une paix royale moi quand les gueux s’embrouillent entre eux et ne se pardonnent rien… Quand ça bagarre, j’envoie la troupe et j’embastille. Une fois dégrisés les gueux retournent à leur misère jusqu’à la prochaine fête ! »

Le messager stupéfait :

« Majesté, comme il est écrit dans le grand livre, il vous appartient de faire régner la concorde parmi vos sujets afin que naisse un sentiment fraternel unissant tous les êtres dans l’harmonie et le sens commun ».

La reine, sa couronne prête à tomber sur le côté, rétorqua vivement :

« Ah ouais ! Et c’est marqué où qu’un échalas pouilleux viendrait un jour me donner des leçons de morale »

Le pouilleux en question moins serein :

« Mais enfin, majesté, vous êtes soumise au respect de la religion de nos ancêtres, les pierres dressées dans les champs, les grands feux du solstice, les processions et les chants… Les acclamations qui vous ont fait reine à la saint Pompont… Vous ne pouvez pas vous démettre des règles de notre tradition ! »

La reine définitivement hors d’elle, personne n’osant jamais lui tenir tête, explosa en une vigoureuse diatribe ce dont elle était coutumière :

« Tradition mon cul ! Ici c’est moi qui commande et ça sera comme ça tant que j’aurai le popotin sur le trône ! » … Puis s’adressant à ses serviteurs : « Qu’on lui donne à manger et à boire et qu’il aille évangéliser ailleurs ! allez ouste ! »

L’assemblée reprit son souffle, stupéfaite, atterrée même, réalisant qu’un tel traitement infligé à un missionnaire pouvait générer, selon la tradition, les plus grands malheurs pour le royaume. Les notables grondaient, les matrones se renfrognaient mais nul n’osait dire quoique ce soit à leur souveraine craignant le déchaînement d’une nouvelle colère.

Le vieil homme jeta un regard sombre sur l’assemblée, se retourna lentement vers la porte du château et reprit son errance, empruntant les ruelles du bourg. On entendait, à chacun de ses pas, le frottement de ses vieilles sandales sur le pavé et le bruit sec de son bâton de pèlerin : « Frrt, frrt, toc… Frrt, frrt, toc…Frrt, frrt, toc… » Le son de ce pas lent hantera longtemps les nuits des gens d’ici. Il advenait même qu’on dise aux enfants : « Ecoute ! Ecoute le pas du missionnaire… Si tu n’es pas sage il t’emportera ! ».

Ainsi s’acheva ce nouveau fait consternant du au caractère volcanique de la reine. Chacun rejoignit son foyer et s’affaira aux préparatifs des fêtes de fin d’année. Ici, on décorait sa maison de branches de sapin et de rameaux de houx. Là, on illuminait ses fenêtres de chandelles ondoyantes. Le calme régna, cet hiver-là, sur la bourgade. La population, en cette sainte période, se commuant en communauté. Les plus riches faisaient bombance, réservant charitablement leurs restes de tables aux plus pauvres.

Le printemps s’annonça et avec lui la fête du solstice, la saint Pompont. C’est à cette occasion qu’on acclamait le souverain du royaume pour l’instituer (si la clameur était forte) ou pour le destituer (si la foule bourdonnait sourdement en baissant les yeux vers le sol). Cette année-là la clameur se fit murmure. A trop pencher la couronne tomba. La reine dut quitter son trône et sa cour le château. Personne n’avait pardonné l’humiliation infligé à un saint homme venu prêcher, au cœur de l’hiver, l’harmonie et la fraternité. Il fut vengé par la destitution de la véhémente souveraine, chacun ayant laissé bien enfouie, au plus profond de son être, la force du pardon.

 

SALE TEMPS SUR LA PLANÈTE

Voilà que le prix du carburant provoque la Jacquerie des gilets jaunes.

Foin des réformes des retraites et du code du travail ! ko les cégétistes et les insoumis ! La France est dans la rue, grâce au gouvernement, avec comme slogan : « Laisser nous les moyens de polluer la planète ! ».

Certes les gilets jaunes ne sont pas tout à fait comme les pauvres des années 50 au secours desquels s’engageait l’abbé Pierre. Ceux-là, les vrais pauvres, ceux des bidonvilles et de la mendicité ne seraient pas montés à Paris pour manifester… Pas les moyens !

Voici plutôt des gens qui, pour la plupart, ont un emploi, un logement, une famille et aussi un ou plusieurs véhicules. Mais comme la vie ne leur propose rien d’autre que des fins de mois difficiles, des montants de retraites misérables, des envies de consommation inassouvies… Ils craignent de tomber plus bas encore ! Peur de rejoindre les vrais pauvres ! Peur du déclassement social irréversible !

La révolte s’appuie, à mon sens, sur de sérieux malentendus :

Qu’on le veuille ou non, Macroniste ou pas, une société basée depuis la naissance du capitalisme sur la croissance à l’infini, épuisant les ressources d’une planète finie ou en forte voie de finition, n’est plus concevable ! Nos moyens de déplacements doivent bien évoluer. Nos modes de consommation, pesant également très lourdement sur l’environnement et les espèces vivantes, il faudra bien consommer différemment, arrêter de se bagarrer pour un pot de NUTELLA en promotion ou pour un téléviseur soldé un soir de « Black Friday » !

Ayons donc une pensée sincère pour tous les écolos de la terre qui militent sans relâche, depuis des lustres, pour nous alerter sur les risques encourus par l’humanité à continuer de polluer et d’épuiser la planète. Il y a de quoi être amer à la vue de ces marées humaines bloquant les carrefours avec comme slogan « rendez-moi mon gas-oil pas cher ! ».

Qu’on le veuille ou non, Macroniste ou pas, notre société aggrave le rapport entre dominants et dominés. Les « gilets jaunes » ont pu, pendant des années, se satisfaire de l’illusion qu’un emploi leur permettrait une belle vie confortable, qu’on pourrait durablement remplir insatiablement des chariots de supermarchés et se gaver de leur contenu, qu’on habiterait de coquets pavillons, installant dans le jardin des barbecues fumants et rinçant chaque samedi sa limousine à l’eau potable. Mais aujourd’hui c’est Carlos GHON et quelques grands patrons du même genre qui se goinfrent. Les plus gros profits se font désormais dans la finance sans la force de travail des bras humains.

Ayons donc une pensée sincère pour Les insoumis et autres forces de gauche fustigeant l’ordre économique mondiale qui aggrave comme jamais le fossé entre riches et pauvres dans notre pays. On ne cesse de répéter que, face aux forces économiques, les travailleurs doivent impérativement revendiquer de vivre dignement. Les gilets jaunes l’ont fait dans le désordre certes mais avec une certaine efficacité.

Qu’on le veuille ou non, Macroniste ou pas, « les emplois, de plus en plus précaires et les pensions de retraites de plus en plus faibles ! » sont bien au cœur des témoignages livrés aux micros tendus par les médias. Ne fallait-il pas défendre « bec et ongles » notre droit du travail et notre système de retraite ? Cela ne valait-il pas la peine d’occuper les ronds-points et de défiler par dizaines de milliers sur les Champs Elysées ?

Ayons donc aussi une pensée pour les syndicats qui n’ont pas réussi à mobiliser dans la rue contre les réformes du code du travail, des retraites et autres revendications des travailleurs.

Qu’on le veuille ou non, Macroniste ou pas, force est de constater que nos besoins essentiels et fondamentaux (santé, éducation, sécurité, etc…) ne sont plus couverts par notre contribution à l’impôt. Les services publics s’amenuisent sans cesse faute de moyens. C’est un véritable cercle vicieux dans lequel nous sommes entraînés : « Trop de taxes et d’impôts ! » crient les « gilets jaunes », « trop de dettes et de déficits » serinent les gouvernants, mais alors qui doit payer pour nos services publics, nos écoles nos hôpitaux ? :

  • Les gros contribuables ? L’ISF vient d’être supprimé dans l’espoir d’un « ruissellement » …
  • Les grandes entreprises qui distribuent trois fois plus de dividendes aux actionnaires qu’elles n’investissent ? Elles iraient investir ailleurs, là où la main d’œuvre est moins chère et plus docile…
  • Les fraudeurs fiscaux ? Ne frauderaient-ils pas plus encore ?
  • Et pourquoi pas une taxe sur les transactions financières ? Taxe qui risquerait de contrarier l’énorme business mondiale produit par des algorithmes élaborés, qui provoqueront inévitablement une prochaine crise, crise qui fera partie intégrante du processus et que l’on finira par payer cher !

Ayons ici une pensée pour les défenseurs du néolibéralisme économique mondialisé et les chantres du démantèlement des services publics si coûteux. Ils se gardent bien, à l’heure de la révolte, de déployer leurs grandes théories, dans les médias, sur les bienfaits du capitalisme.

Ayons aussi une pensée pour les adeptes de Pierre RABHI, dont je suis, qui se voient mal expliquer aux gilets jaunes les principes de la sobriété heureuse tant la frustration du caddie vide est forte.

Qu’on le veuille ou non, enfin, Macroniste ou pas, il n’est pas convenable d’appeler à la démission d’un président qui vient à peine d’être élu… Le suffrage universel se respecte… Il ne reste même que nos institutions qui nous protège vraiment du chaos. Ce n’est pas la démocratie représentative qui pose un problème mais plutôt le désengagement citoyen. Abstention aux élections, individualisme et désintérêt pour la cause commune, absence aux mobilisations sociales, les Français n’ont-ils pas manqué à leurs devoirs et laissé à d’autres le soin d’organiser la société.

Alors ! Macroniste ou pas, que devons-nous attendre de cette crise ? Que le président cède face à la jacquerie ? On peut en douter car ce gouvernement-là est au pied d’un mur édifié depuis près de quarante ans par ses prédécesseurs ayant bien négligé le sort de la planète et de l’humanité en s’avachissant devant l’odieuse pression économique produite par le grand capital ! C’est lorsque la machine économique s’enraye lors des grandes crises qu’on réalise à quel point le pouvoir politique n’en est pas vraiment un. Une telle révolte peut-elle donner des arguments aux gouvernants afin de calmer l’appétit des ogres de la finance ?

Qu’adviendra-t-il de cette crise sociale après le rude épisode répressif qui a maté la mobilisation du 4 ième épisode ? Un dialogue s’est engagé tant bien que mal, mettant en évidence la carence de représentativité d’un mouvement agrégeant les frustrations des uns aux tactiques politiciennes des autres. Un geste financier est fait. Les trublions rentreront probablement chez eux pour préparer les réveillons de noël et du jour de l’an. Le temps de la révolte passé, les gilets jaunes rejoindront les boites à gants des voitures et les français retrouveront leurs frustrations sous le couvercle d’une marmite encore bouillante ! Carlos GOHN et consorts continueront de se goinfrer, le business permettra à tel grand groupe cimentier de financer DAESCH pour pouvoir continuer à faire du profit, les grandes banques feront toujours la pluie et le beau temps avec la dette des états les plus vulnérables, les industriels de tous types pollueront les océans ou en pilleront les ressources, les spéculations en tous genres continueront à vicier l’économie, Etc. etc… Il reste à craindre que la machine sérieusement enrayée durant quelques semaines se remette inexorablement en marche… Sale temps pour la planète !