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Révolte au clair de sept lunes

L’hiver semble prendre fin, les coucous fleurissent sur le bord des chemins, les bourgeons pointent sur les branches des arbres, les plus hautes montagnes éclatantes de neige engagent un lent dégel sous l’effet des rayons du soleil de février. Bientôt le courant des torrents grondera, leurs berges escarpées contenant avec peine le flot tumultueux des eaux de fonte se cumulant au ruissellement causé par les giboulées de mars.

A l’approche de la frontière, un groupe de chemineaux s’exhorte à la prudence. Tous savent bien que la contrée qu’il leur faut traverser est hostile aux migrants. Des pancartes faites de planches clouées sur des piquets s’y dressent, ces mots y sont inscrits en lettres noires : «pauvres et malandrins passez votre chemin », sur celle-ci : « Ici règne la vigilance», sur celle-là encore : « On est chez nous, chez vous c’est ailleurs !»… Pas de quoi rassurer les passants.

Ce petit royaume jouit de la pire réputation, un clan y domine, les gueux y sont méprisés et affamés, à sa tête une reine autoritaire : la reine SARDINE. Point de lignée ancestrale pour cette souveraine, au pseudonyme piscicole, issue du monde des marchands. Elle prit le pouvoir grâce au principe en vigueur dans ce pays : L’acclamation. Ce procédé trouvait son origine dans les temps très anciens alors que régnaient les guerriers les plus valeureux. Suite à la bataille, les soldats vainqueurs levaient lances et boucliers en hurlant leur soutien à tel ou tel chef de guerre. Celui qui recueillait les plus fortes clameurs étaient désigné pour régner jusqu’à la prochaine guerre. Simple et efficace. Alors, me direz-vous, comment une femme avait-elle pu parvenir sur le trône puisqu’en ces temps-là seuls les hommes faisaient la guerre et que, de plus, il n’y avait plus de guerre depuis fort longtemps ?

Tout était la faute du roi SPAGHETTI, souverain débonnaire et humaniste à qui vint, durant son long règne, des idées saugrenues : Il préférait la paix à la guerre, il inventait l’école et la rendait obligatoire pour tous les enfants, il levait l’impôt auprès des riches pour subvenir aux besoins vitaux des pauvres. Un jour il décréta que les femmes deviendraient les égales des hommes, partant du constat qu’elles tenaient les échoppes du bourg s’employant avec compétence à divers négoces, faisaient de mousseuses lessives dans le ruisseau, travaillaient aux champs, puis au bois, puis au logis où tant d’âtres fumants voyaient mijoter d’odorantes soupes et de juteux civets, elles satisfaisaient ,enfin, aux usages en vigueur lors du repos des guerriers. Tant de tâches et d’ouvrages méritaient bien qu’on élève la gente féminine au rang d’être humain à part entière par un royal décret.

Bien mal en pris le pauvre roi SPAGHETTI qui mit son règne en sérieux péril tant les hommes s’assombrirent d’une telle décision politique alors que les femmes, sortant de siècles d’asservissement, se mirent, quant à elles, à briguer alors considération, honneurs et responsabilités. Parmi elles, une opulente poissonnière, surnommée « La sardine » du fait de l’objet de son fructueux commerce, la poissonnerie. Il lui vint à l’esprit de détrôner le roi et engagea pour se faire une campagne de dénigrement ralliant à sa cause quelques matrones du bourg lesquelles régnaient sur les marchés et dans les boutiques. Boulangère, charcutière, tavernière, marchande de casseroles, lavandière, filles de joie aussi, s’engagèrent aux côtés de « La sardine » dans un porte à porte efficace et provoquèrent le jour de la fête patronale, la saint POMPONT, une désignation par acclamation. La reine SARDINE, première du nom et ces six comparses s’installèrent au château et à dater de ce jour le royaume ploya sous le joug du clan des matrones.

Les gueux perdirent alors le bénéfice des aides qu’on leur apportait naguère : La coupe de bois annuelle consentie gratuitement aux pauvres fut supprimée sous le prétexte qu’on pouvait vendre le bois aux bûcherons ; le glanage des grains après les moissons fut interdit et à l’inverse une dîme instaurée pour enrichir le trésor royal ; plus aucun soin gratuit pour les malades et les souffreteux, les moines herboristes et les nones soignantes prodiguant des soins gracieusement à quiconque en ressentait le besoin, furent priés d’aller crécher ailleurs, laissant la place à d’opulents apothicaires ; les écoles fermées, les enfants retournant aux champs… Le royaume entrait dans une ère mercantile.

On comprend dès lors que nos piétons, pauvres et silencieux, traversent la contrée en catimini sans se faire remarquer. C’est alors qu’ils aperçoivent au loin un attroupement à l’orée d’un bois, ils se dissimulent dans les fourrés, ils guettent, ils écoutent…

« Trop c’est trop » clame un barde juché sur une souche vermoulue (on le reconnait à la guitare qui pend dans son dos), « Haro sur les matrones » braille un chasseur, le fusil sur l’épaule, des litrons vides alourdissant et dépassant de sa gibecière, « sus au clan dominant » crie un vieux guerrier borgne et manchot levant son unique poing menaçant, « Ouais ! » hurlent les hommes présents, ne sachant trop quoi dire mais suivant le mouvement dans l’espoir probablement de retrouver leur mâle domination d’antan. Tous forment un bruyant cortège, soulevant la poussière du chemin, dressant au-dessus de leurs têtes faux, fourches, bâtons de marche, poêles percées à faire cuire les châtaignes et divers ustensiles menaçants. Les murs des masures des faubourgs tremblent tant la clameur est forte. Le porche d’entrée du bourg est franchi une fois la porte violemment ouverte sous la poussée de la meute en colère. Plus on approche du château de la reine Sardine, plus les manifestants s’enhardissent et s’excitent les uns les autres : « Sus aux femelles ! » « A bas la Sardine ! » « Qu’on lapide les matrones» disent les plus teigneux, « Qu’on les empale » crient les plus cruels, « Qu’on les destitue » clament les meneurs, plus légalistes, moins enragés et quelque peu effrayés par la tournure des évènements qu’ils ont provoqué. La troupe hirsute, dépenaillé, rougeaude, éructant les pires injures, se rassemble sous les remparts de la forteresse royale. Toutes sortes de projectiles s’écrasent contre la façade de l’édifice surchauffée par le soleil couchant : Cailloux, bouses séchées, bûches de bois, godillots percés, légumes pourries, animaux morts… Tout ce qui se trouve à portée de main est ramassé et jeté contre le symbole de la tyrannie : la muraille.

C’est alors qu’advient la réplique du pouvoir la plus inattendue qui soit… Du haut des remparts entre les créneaux on voit apparaître ni plus ni moins qu’une alignée de fesses blanches et rondes : sept culs nus ! Ahurissant ! La reine et ses matrones, reproduisant en cela une vieille coutume guerrière écossaise, se tapent sur les fesses après avoir retroussé leurs jupes pour exprimer leur mépris. L’effet sur les révoltés ne se fait pas attendre : La stupéfaction ! La mâle troupe éberluée reste penaude au pied des remparts,  contemplant le nez en l’air le grassouillet spectacle de blanches fesses tapées par sept mains et s’en trouvant marrie. Les bras tombent, ballants… Les mines pâlissent, déconfites… Tous se taisent et pensent : « Voilà donc tout ce qu’inspire notre rage et notre colère… Des mains de matrones qui se tapent sur le cul ! ». Loin d’effrayer les femelles, la manifestation n’eut donc comme seul effet sur la gente dominante que l’expression la plus vulgaire qui soit du mépris : « Votre révolte… Voilà où on se la met ! », « Vos revendications… Regardez bien par où elles passent ! ».

Ainsi s’acheva la révolte des gueux.

Nos migrants, prudents observateurs, témoins involontaires de cette jacquerie avortée au clair de 7 lunes, s’en retournent sur les chemins en quête d’une terre plus hospitalière. Ils porteront au cours de leur errance un témoignage encore audible aujourd’hui. En effet, des années et des siècles plus tard, il advient parfois qu’aux doléances portées aux pieds des dominants, les gens s’entendent répondre « On s’en tape ! » ou encore « On s’en tamponne le coquillard ! » ou plus couramment « On s’en occupe ! »…

Oh combien de vestiges branlants, de peintures rupestres naïves, d’objets antiques tarabiscotés, d’usages désuets, de coutumes pittoresques et de contes faussement stupides témoignent-ils encore des turpitudes de nos lointains ancêtres ?

Coups de vieux

Premier coup:

Je reçois l’aimable et conventionnelle invitation au repas des vieilles et vieux dit «repas des anciens » en langage officiel…

« N’ai-je donc tant vécu que pour ce faux-semblant d’honneur, cette convivialité convenue annuelle ? »

Bon admettons, l’âge est là, ça veut dire que je suis toujours vivante !

Deuxième coup :

La courtoise « invite » est complétée par une non moins habituelle et charitable proposition pour un voiturage que le libellé officiel appelle « ramassage ».

Oups !

Que suis-je devenue pour être « ramassée » comme une feuille morte « ramassée » à la pelle ?

À moins que ce ne soit « ramassée » par le camion du lundi ?

Tradition, respect, honneur, convivialité : « Sic transit gloria mundi ! »

NON ! On ne dit pas non plus « ramassage scolaire » mais « transport scolaire », question de respect, car tout commence avec les mots !

Claudine